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La montée de la colère

Publié le par Charles CONTE
Le Cercle des Alpes maritimes a invité Monique Dagnaud, sociologue, directrice de recherche CNRS-EHESS, le 31 janvier dernier pour traiter du cyberharcèlement. Nos amis du Cercle attirent notre attention sur le dernier article publié par Monique Dagnaud sur le site Telos. Il traite de la montée générale de la colère. Le Cercle d'Auxerre avait organisé des Entretiens sur ce thème en 2019. Toutes les vidéos sont en ligne. L'article de Monique Dagnaud s'appuie sur une note des économistes Yann Algan et Thomas Renault rédigée pour L’Observatoire du bien-être. Ils ont tenté d’appréhender les principales émotions associées aux préoccupations des Français telles qu’elles s’expriment sur les réseaux sociaux. L'article est en accès libre sur le site de Telos, revue numérique indépendante d'inspiration réformiste.

Bourg-en-Bresse. Remue-méninges « Quelles pistes pour régénérer notre démocratie ? »

Publié le par Charles CONTE
Le 20 février 2024, le Cercle Condorcet de Bourg-en-Bresse a réalisé un "remue-méninges"  intitulé "Quelles pistes pour régénérer notre démocratie ?". Les membres du Cercle ont réfléchi sur la base des textes de Michel Cabirol "Réparer la démocratie libérale",  "Régénérer la démocratie par les territoires" de la fondation Jean-Jaurès ainsi que de la note de cadrage de la séance rédigée par le secrétaire du Cercle Francis Schwintner. Le compte-rendu donné ci-dessous a été rédigé par Philippe Abel, président du Cercle. Remue-méninges « Quelles pistes pour régénérer notre démocratie ? » Une conversation intéressante de type «remue -méninges» se déroule sur la base de la question suivante: «quelles pistes pour régénérer la démocratie»? Il s’agit de partager les causes du «mal être démocratique actuel» en vue d’envisager des modes de réponse adaptés. En guise d’introduction, Philippe ABEL lit la note à la fois pertinente et synthétique de Francis SCHWINTNER qui cadre bien le sujet. Elle porte sur les constats, des idées d’outils possibles, et résume un article du Monde du 25\02\2022 intitulé «Un nouveau modèle démocratique est possible». Pour mémoire, la note de Francis était jointe à la convocation à la réunion ( avec 2 autres documents: «Réparer la démocratie libérale» (Michel CABIROL- président du comité de liaison des Cercles Condorcet)- «Régénérer la démocratie par les territoires» (Fondation Jean Jaurès). Les éléments de diagnostic et pistes de réflexion suivants sont évoqués (sans qu’il soit possible d’être exhaustif compte-tenu de la richesse de la discussion): Quelques éléments de diagnostic sur le mal être démocratique -«La démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous les systèmes» (Winston Churchill) - La définition de la démocratie ne repose pas uniquement sur les élections, mais aussi sur l’état de droit et le respect des minorités - Si notre démocratie va mal, c’est parce que la société française elle même se trouve dans le mal être ( «individualisme hédoniste de masse»- perte des valeurs de travail et de solidarité) - Ce mal être social trouve sa traduction dans un sentiment de «fatigue démocratique». Selon une étude réalisée par l’institut de sondage Opinion Way pour le Centre d’Etudes de la Vie Politique Française, 68% des Français jugent que la «démocratie ne fonctionne pas bien». - Mais, si l’on adopte une perspective historique, la démocratie a toujours été un système instable et résilient évoluant en fonction des crises ( cf. Niveau de violence antisémite des ligues d’extrême droite avant la seconde guerre mondiale). - Dans le monde, la France ne fait pas exception. Après le pic démocratique des années 2000, selon l’étude de 167 pays réalisée par The Economist Intelligence Unit, les démocraties n’ont jamais été aussi menacées dans le monde. Seule une minorité de la population mondiale (environ 34%) vit désormais en démocratie. Ceci alors même que la moitié de la population mondiale est concernée cette année par un scrutin électoral. - En France, la rupture du lien de confiance entre citoyens et élus est particulièrement problématique. Les citoyens ont le sentiment que les élus ne respectent pas leurs engagements, ou bien que leurs décisions ne se traduisent pas de manière effective. Dès lors, ils ne voient plus ce qu’ils peuvent «gagner» à voter pour tel ou tel parti. - Ce phénomène de défiance démocratique est renforcé par le marketing politique. En substituant des individus aux programmes, il est nécessairement facteur de frustrations. - S’ajoute à cela une complexité croissante et un éloignement des administrations du citoyen. Le rôle de l’expert et de la bureaucratie tend à dessaisir les élus du peuple de leurs responsabilités. - La professionnalisation du «politique» lui-même qui devient un métier, alors qu’il devrait rester un mandat, contribue à creuser la distance entre élus et citoyens. - Dans un monde en crise, il est devenu très difficile de se projeter ( contrairement aux années 70). Cela ne peut qu’affecter le moral de la population, et notamment des jeunes générations. - En parallèle, les institutions ( Europe- Etat…) manquent de pédagogie pour expliciter le sens de leurs actions. - La 5ème République repose sur une constitution conçue pour gouverner et décider ( ce qui est également le rôle des institutions démocratiques). Mais le présidentialisme et l’exercice vertical du pouvoir ont contribué à couper ce dernier du peuple. - L’opposition, quant à elle, se contente trop souvent d’une politique «attrape-tout» fondée sur des «y’a qu’à, faut qu’on». Une telle démagogie permet d’engranger des succès politiciens à court terme. Mais elle est lourde de menaces à long terme pour le pays, en raison du futur «désenchantement démocratique» qu’elle ne manquera pas de susciter, une fois aux prises avec les réalités du pouvoir. - Un type de discours politique fondé sur la manipulation des émotions plus que sur la raison entraîne un effet délétère dans l’opinion publique. - Ces phénomènes renforcent le mal français consistant, d’une part à tout attendre de l’État, d’autre part à être incapable de dégager des consensus raisonnables (sauf peut-être au niveau local). - Sur le plan socio-économique, la social-démocratie avait assuré, dans le monde, un équilibre entre deux facteurs essentiels de cohésion sociale: la liberté d’entreprise et le service public, la complémentarité entre le public et le privé. L’idéologie inhérente au néo-capitalisme financier ( Ecole de Chicago…) a fait voler en éclats cette base de consensus minimal. Or, elle garantissait le fait qu’il était possible de s’enrichir par son travail et son ingéniosité, dans des proportions décentes. De même, les plus précaires bénéficiaient de filets de protection. La dérégulation inhérente à la toute puissance de la finance a donné le sentiment aux citoyens qu’une toute petite minorité d’hyper-riches ( spéculateurs- grands patrons du CAC 40…) perçoivent des revenus totalement déraisonnables qui les coupent de notre «commune humanité». Simultanément, l’omnipotence de l’argent comme unique valeur de référence a conduit à la négation de la recherche du bien commun et de l’intérêt général indispensables à l’équilibre d’une société. - L’omniprésence des réseaux sociaux dans la sphère publique a accéléré la régression démocratique. Les jeunes notamment évoluent dans un autre monde, une bulle virtuelle déconnectée de la réalité sociale. Les réseaux sociaux fonctionnent sur une fuite en avant narcissique génératrice de souffrances pour les jeunes et leurs familles. Leur principe de fonctionnement va à l’encontre de l’expression raisonnée et de l’écoute bienveillante au fondement de toute discussion «démocratique». - Ces considérations ne doivent pas occulter le fait que l’électeur(trice) et le citoyen(enne) ne sauraient se défausser de leurs responsabilités concernant leurs propres comportements pour améliorer le fonctionnement de la démocratie. La célèbre phrase de Kennedy reste plus que jamais d’actualité: «plutôt que toujours te demander ce que ton pays peut faire pour toi, demande-toi ce que tu peux faire pour ton pays» - A ce titre, les individus et minorités ne peuvent faire prévaloir leurs propres revendications autocentrées sur l’intérêt général tant il est vrai que l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers. Quelques pistes de réflexion pour régénérer la démocratie - Il n’existe pas de solution miracle pour régénérer la démocratie - La première piste est liée à la nécessité de retrouver de grandes voix d’hommes et de femmes porteurs de valeurs démocratiques et universalistes, auxquelles on puisse faire confiance. - Face à la crise que traverse le monde, il est également essentiel de retrouver des valeurs et un idéal donnant un sens à l’avenir de l’Humanité (savoir où l’on va et pourquoi). Il faut définir ce qui peut nous unir par-delà nos différences. Compte-tenu du défi redoutable que posent le dérèglement climatique et la dégradation de l’Environnement, cette recherche d’idéal est indissociable de la détermination d’un nouveau rapport entre l’Homme et la Nature (cf. Notion de « Pachamama » fondée sur la représentation de la Terre -Mère existant dans de nombreuses cultures dans le Monde). - La démonstration est faite que les démagogues experts en manipulation des foules profitent de ce vide existentiel des valeurs portées par de grands hommes et de grandes femmes (cf. Trump…) - L’éducation civique revêt un rôle fondamental. Elle doit intervenir à tous les âges de la Vie, et dès l’enfance. Elle passe certes par l’Ecole, mais pas de manière exclusive. Peuvent être cités à titre d’exemples: les cours de philosophie et d’éducation au respect chez les enfants et les conseils municipaux d’enfants- le service civique-le baccalauréat international pour former des citoyens du monde en matière de culture, de langue, et d’apprentissage au «vivre ensemble»-le rôle des médias pour sortir du dénigrement systématique, citer les initiatives sociales positives, et mettre en valeur leurs acteurs, afin d’assurer une pédagogie de la démocratie- la régulation des réseaux sociaux..La phrase de Condorcet «éclairer les hommes pour en faire des citoyens» est plus pertinente que jamais. - Il est essentiel de créer de nouvelles voies d’expression démocratiques, au-delà des élections. Il s’agit de trouver un juste équilibre entre démocratie participative et démocratie représentative. De ce point de vue, l’expérience nationale des conventions citoyennes ( Climat- Fin de Vie…) est encourageante, à condition d’en tenir compte, pour ne pas générer encore plus de frustrations. La démocratie participative pourrait être développée sur le plan local où il s’avère plus facile de dégager du consensus. - Sur le plan électoral se pose la question de la remise en cause de l’alignement des mandats présidentiel et parlementaire, ce double quinquennat ayant renforcé le présidentialisme. - Il conviendrait de modifier les règles électorales pour prendre en compte le vote blanc dans l’éligibilité des candidats - Le cumul des mandats devrait être strictement limité, tant dans l’espace que dans le temps (pas plus de 3 mandats au cours d’une carrière politique). Cela garantirait un renouvellement du personnel politique. - Au niveau parlementaire, il faudrait revoir la composition de l’Assemblée Nationale pour qu’elle soit plus représentative des différentes catégories de la population. De même, le Sénat, en tant qu’assemblée de notables, n’apporte guère de plus-value au jeu démocratique ( cf. Projet de suppression par le général de Gaulle lors du référendum de 1969). Selon des modalités complexes restant à définir, il pourrait être avantageusement remplacé par une assemblée citoyenne composée de représentants des corps intermédiaires ( syndicats- associations…) à l’image du Conseil Economique, Social et Environnemental et de simples citoyens, à l’image des Conventions Citoyennes - La réhabilitation des corps intermédiaires (syndicats, associations...) dans le jeu démocratique pour recréer du collectif est un chantier à poursuivre. Mais les bénévoles associatifs sont «vieillissants». Seuls les syndicats tirent davantage leur épingle du jeu (depuis le mouvement des retraites) et bénéficient d’une meilleure cote de popularité. - La question de l’ouverture du référendum se pose. Mais celui-ci ne fait pas partie de la tradition démocratique française. Nous avons plus tendance à répondre à celui qui pose la question qu’à la question elle-même. Sa généralisation risque également de se traduire par une faible participation. Resterait éventuellement à mettre en œuvre des formes innovantes du type préférendum ( vote permettant d’exprimer ses préférences parmi une liste d’options) ou déjà prévues dans la constitution du type référendum d’initiative partagée (présentation d’une proposition de loi par un cinquième des parlementaires, soutenue par des citoyens, ceci à condition d’abaisser le seuil du nombre de signatures requis, actuellement trop élevé) - L’approfondissement de la décentralisation, notamment par le biais de la régionalisation et de l’échelon local, est de nature à rapprocher le citoyen de la prise de décision (y compris pour le référendum d’initiative locale). Mais elle se heurte en France à la tradition de l’Etat-nation, dont on attend tout, et à la passion de l’égalité entre régions (notamment fiscale) sur l’ensemble du territoire Fin de la discussion Les hasards du calendrier ont fait que cette séance s’est tenue peu de temps après le décès de Badinter, le jour même de l’assassinat de Navalny par Poutine, et la veille de la panthéonisation de Manouchian, avec son épouse et ses compagnons. Ces grandes voix de l’Humanité nous inspirent et nous leur devons reconnaissance pour l’exemple de leur clairvoyance et de leur courage. Chacun à leur manière, ils nous engagent dans notre responsabilité pour défendre la liberté, la démocratie, et l’universalité des valeurs humanistes. Le Président Philippe ABEL

Comment régénérer notre démocratie ? Note de cadrage Bourg-en-Bresse

Publié le par Charles CONTE
Cette note de cadrage rédigée par le secrétaire du Cercle de Bourg-en-Bresse Francis Schwintner a donné un support au "remue-méninges" du 20 février 2024 intitulé "quelles pistes pour régénérer notre démocratie ?".

Constats

« La démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous les systèmes » (Winston Churchill). Notre démocratie va de plus en plus mal. Les symptômes de ce mal continuent à se développer : abstention aux élections, perte de confiance dans les élus (sauf locaux), montée des extrêmes, développement des manifestations voire des insurrections (gilets jaunes, banlieues, méga-bassines, …), des pratiques parlementaires ou politiciennes qui font perdre confiance dans les institutions, des pratiques policières qui privilégient la force à la discussion…. Partout, le sentiment national est d’abord usé par le mal vivre-ensemble. Deux facteurs au moins sont destructeurs : le creusement des inégalités, d’une part, les excès de l’individualisme hédoniste de masse, d’autre part. À cette liste, il faudrait ajouter les menaces liées au développement du numérique : manipulations des opinions par les plateformes numériques, l’utilisation permanente du smartphone, les facilités ouvertes par le commerce numérique, les excès et la libération de la parole sur les réseaux sociaux A noter aussi l'activisme et l'influence d'États étrangers illibéraux, voire dictatoriaux, qui œuvrent pour affaiblir nos démocraties. Bref, de nombreuses menaces qui accentuent le discrédit du politique par les opinions publiques au point d'inciter les électeurs à s'abstenir ou à se réfugier dans les extrêmes. Des conventions citoyennes ont été organisées (climat et fin de vie)  avec des résultats intéressants mais les enseignements n’ont que très peu été repris par l’exécutif (exemple du climat). Un nouveau Comité National de la Refondation a été créé mais organisé par le pouvoir central. Donc, des essais de nouveaux outils mais qui sont mis à mal par la pratique verticale du pouvoir. Une assemblée nationale actuelle de type « proportionnelle » mais qui montre la quasi incapacité de former des majorités pour voter des textes (alors que les coalitions fonctionnent dans bon nombre de pays).

Idées de quelques outils possibles

  • Le référendum (d’initiative citoyenne notamment) ou le « préférendum » (évoqué par E. Macron).
  • Développer les conventions citoyennes, mais avec une réelle prise en compte des résultats. Le pouvoir appartient aux élus et non à un petit groupe de personnes, mais ces conventions permettent néanmoins d'inventer de nouvelles formes de concertation sur des sujets dont la portée intéresse l'ensemble des citoyens.
  • Une nouvelle vague de décentralisation pour donner plus de compétences aux régions plus particulièrement (plus de régionalisation), mais aussi aux départements, EPCI, mais avec les moyens financiers qui vont avec.
  • Le renforcement des syndicats, afin qu’il y ait de véritables entités représentatives du plus grand nombre, qui puissent discuter et négocier avec les instances patronales ou l’exécutif. Cela semble bien fonctionner dans le nord de l’Europe.
  • Boites à idées : si les initiatives et idées citoyennes fleurissent chaque jour, l'enjeu est de les centraliser et de les faire connaître. Rien de tel qu'un dispositif gouvernemental ou local dédié.
  • Développer toute forme de participation du citoyen : associations mais pas uniquement, développer la participation des jeunes, et des « jeunes retraités »…
  • Favoriser la participation démocratique des jeunes par l’éducation : développer une nouvelle éducation civique (mais qui serait plus sociale et non-discriminatoire), le développement des cours d’empathie en classe pourrait être un des outils par exemple, développer des formes d’associations pour mener à bien des projets concrets (aux niveaux lycées voire collège), à l’exemple de ce qui est fait dans les écoles de commerce.
  • Développer la convivialité et le vivre ensemble (notamment en associant les quartiers défavorisés) au niveau local : fêtes ou évènements populaires, accueil de nouveaux habitants, développement des formes d’entraide sous toutes ses formes...
  • Développer l’intergénérationnel, notamment avec une population qui vieillit.
  • Donner plus de poids au Conseil économique, social et environnemental, conformément à sa mission de carrefour de la participation citoyenne.
  • Développer des plateformes numériques qui donnent la parole à chacun, et qui pourraient permettre de nouvelles formes de démocratie directe sous les traits de conventions citoyennes ou autres (mais avec une modération efficace). Quel pourrait être l’apport de l’intelligence artificielle ?
« Un nouveau modèle démocratique est possible » (Cf. article Le Monde du 25/02/2022) Une coalition d’ONG et de personnalités interpelle, dans une tribune au « Monde », les candidates et candidats à la présidentielle avec six mesures d’urgence pour refonder une démocratie « dans laquelle les citoyennes et les citoyens ne se cantonnent pas à un rôle d’électeur mais contribuent directement et régulièrement à la définition de l’intérêt général ».
  • Former les jeunes aux pratiques démocratiques pour préparer des citoyens éclairés et engagés.
  • Lutter contre l’abstention et revoir notre manière de voter, notamment par la reconnaissance du vote blanc.
  • Empêcher une trop grande influence des lobbys pour faire primer l’intérêt général sur les intérêts privés.
  • Financer la démocratie par un soutien structurel aux innovations démocratiques et citoyennes et revoir la manière de financer les campagnes électorales et les partis politiques.
  • Garantir des médias indépendants et organisateurs d’un débat public de qualité.
Organiser une convention citoyenne pour la démocratie suivie d’un référendum. Cette assemblée tirée au sort aura pour mandat de repenser la règle du jeu politique et notamment la place des citoyennes et citoyens dans l’élaboration des politiques. Articulée à un grand débat national, impliquant la société civile organisée (associations, ONG, syndicats...) et les grandes organisations politiques du pays, cette convention citoyenne pourra mettre en débat et traiter tous les sujets institutionnels et démocratiques qu’elle jugera importants : référendum d’initiative citoyenne, équilibre des pouvoirs (présidentialisme, rôle du Parlement, proportionnelle, création d’une assemblée citoyenne), pouvoir des collectivités locales, modes de scrutin… Elle soumettra ses conclusions directement au peuple français par voie référendaire

Michel Ragon, fils du peuple.

Publié le par Charles CONTE
Comme les chats, Michel Ragon a eu sept vies : saute-ruisseau, fonctionnaire, bouquiniste, poète, écrivain, critique d’art, historien de l’architecture. Deux livres viennent de lui être consacrés. Risquons une présentation des deux ouvrages en deux phrases. Dans « Une rage de lire » (Editions L’Echappée), Thierry Maricourt propose une définition en compréhension de la vie et de l’œuvre de Michel Ragon. Il nous plonge dans ses premières années en explorant ses sentiments les plus intimes. Dans « Michel Ragon, singulier et pluriel » (Albin Michel), André Derval propose une définition en extension du même personnage. Il le suit tout au long de son parcours et en pointe les réalisations les plus marquantes. Né il y a un siècle, décédé en 2020, Michel Ragon nous laisse une œuvre immense, en particulier sur la mémoire du peuple, la relation à l’art et à l’architecture, qui est plus que jamais une source d’inspiration. Thierry Maricourt est un frère pour Michel Ragon qu’il a bien connu : ouvrier d’imprimerie, romancier, libraire, éditeur, auteur d’œuvres précieuses telles que « Histoire de la littérature libertaire » et « Dictionnaire des auteurs prolétariens ». On pourrait presque parler de vies parallèles comme Plutarque. « Une rage de lire » (Editions L'Echappée. Le peuple du livre) : le titre choisi par Thierry Maricourt est d’une perspicacité parfaite. On ne saurait mieux qualifier d’un trait la passion dévorante de Michel Ragon pour la lecture, d’abord attrape-tout puis systématique pour les classiques. De l’enfance vendéenne à la découverte de Paris cet appétit, cette voracité, le ne quitterons pas. Thierry Maricourt a l’art de décrire en profondeur le milieu populaire et la psychologie de son héros, héritier de lignées de « gens de peu ». Les premières années à Fontenay-le-Comte, son père décédé, sa mère omniprésente, la passion littéraire, la fréquentation de la bourrellerie… tout est condensé dans la phrase « La terre, la plume, le cuir… ». Le jeune Michel devient tôt saute-ruisseau. Maricourt relève : « Le mot en lui-même est un véritable poème ; ce qu’il recouvre l’est moins… ». Auxiliaire à la mairie de Nantes, il diffuse des tracts contre l’occupant nazi. Pendant de très longues années, Michel Ragon tirera le diable par la queue, « intrinsèquement fauché », tout à sa passion pour les lettres et les arts. Il ne connaîtra l’aisance, et la renommée, qu’à partir de la soixantaine, où il quitte sa boite de bouquiniste. Il fréquente les œuvres, puis les auteurs issus du peuple. L’un d’entre eux, Bernard Clavel, aura cette réflexion frappante : « Si je devais définir Michel Ragon en quelques mots, je dirai qu’il est un des rares écrivains de notre époque à avoir réussi l’équilibre parfait entre ce qui coule de l’esprit et ce qui monte de l’âme ». La rencontre avec Henri Poulaille est décisive. En 1947, Michel Ragon publie « Les écrivains du peuple » qu’il remaniera plusieurs fois pour aboutir à la passionnante « Histoire de la littérature prolétarienne de langue française » disponible en livre de poche. Sans doute en guise de clin d’œil, la série de documents illustrant le livre de Thierry Maricourt est la photo de Michel Ragon en premier communiant. S’il devint rapidement athée, celui-ci manifestera toujours une compréhension pour les chrétiens (mais aucune indulgence pour le cléricalisme politique). Pour la petite histoire, invité sur Radio Libertaire par l’auteur de ces lignes, Michel Ragon lui confiera être intervenu lors d’un repas entre auteurs de la collection « Terre humaine » pour que le prêtre Bernard Alexandre (auteur de « Le horsain ») rejoigne les convives pour la plupart joyeux libres penseurs. Parmi les autres photos, on retrouve ses parents et sa demi-sœur Odette « Ma sœur aux yeux d’Asie » selon le livre qu’il lui consacrera… André Derval est docteur ès lettres, spécialiste de Céline et de Beckett, auteur d’éditions critiques d’ouvrages d’Henry James et de Rémy de Gourmont. Rien ne le prédisposait, semble-t-il, à rédiger la biographie intitulée « Michel Ragon singulier et pluriel » (Albin Michel). Et pourtant : nous suivons notre personnage à multiples facettes tout au long de sa vie grâce à ces 380 pages minutieusement rédigées. Le première partie du livre « Apprentissages » couvre la même période que Thierry Maricourt, jusqu’en 1953. Les deux ouvrages se complètent. La deuxième partie « Constructions » va de 1954 à 1974. Michel Ragon, commis en librairie, bouquiniste quai de la Tournelle, rendez-vous privilégiés des libertaires de tout poil. Secrétaire de la Corporation des bouquinistes ainsi que du Prix des bouquinistes, Michel Ragon multiplie les échanges et les écrits. Il découvre l’art abstrait et devient un critique reconnu de cette matière qui en laisse quelques uns sceptiques. Il reprend ses articles dans un livre synthétique reconnu comme brillant par la profession « L’aventure de l’art abstrait » (Robert Laffont 1956). Un titre marquant dans sa vertigineuse bibliographie qui compte 25 romans, huit recueils de poésie et cinq sur les dessins satiriques, une dizaine d’essais, six ouvrages à caractère autobiographique, cinq récits de voyages, une cinquantaine de livres consacrés aux arts plastiques, une vingtaine sur l’architecture, des centaines d’articles, des émissions radiophoniques et audiovisuelles… On mesure le tour de force réalisé par André Derval qui réussit à présenter les principales œuvres de Michel Ragon en les situant dans le contexte de la vie tumultueuse de leur auteur. Une foule d’information sur les femmes et les hommes des divers milieux qu’a fréquentés Michel Ragon nous est donnée par André Derval. Parmi les nombreux moments forts, il faut relever la rencontre avec Jean Malaurie qui publie « L’accent de ma mère » dans sa merveilleuse collection « Terre humaine », les écrits sur la Vendée repensée à la lumière du marxisme libertaire suivant le conseil de Daniel Guérin, son investissement dans « La voie libertaire » (paru dans la collection "Terre humaine") et le suivi de ses nombreux ouvrages sur l’architecture. Ils peuvent nous aider à penser un monde nouveau pour une humanité affrontée à la nécessaire transition écologique. Un mot de Ragon sur Le Corbusier peut situer sa perspective : « le fait d’être un ancien ouvrier et un autodidacte ne sera jamais pardonné à Le Corbusier ». En effet la reconnaissance nationale et internationale de la qualité de ses travaux, les « années de plénitude » (troisième partie du livre) ne tournera jamais la tête à Michel Ragon. Il reste lucide : « Je n’avais que mépris pour ces intellectuels parisiens que je côtoyais et qui me stupéfiaient par leur assurance, par leur arrogance, par leur certitude de détenir la vérité. Je les voyais toujours prêts à se jeter dans la dernière aberration à la mode ». Michel Ragon n’a jamais oublié qui il était. Son œuvre nous aide à savoir qui nous sommes.

Cercle Condorcet de Paris: Face au conflit israélo-palestinien

Publié le par Charles CONTE
Le Cercle Condorcet de Paris a organisé deux conférences sur le thème du conflit israélo-palestinien. Les vidéos de ces deux débats sont accessibles en ligne. Ces conférences recoupent nos articles consacrés à la gauche laïque en Israël et à la cohabitation entre juifs et musulmans. Le Cercle Condorcet de Paris, présidé par Bernard Wolfer, propose depuis plus de trente ans un ambitieux programme de conférences/débats dans lequel s'inscrivent les deux derniers consacrés au conflit israélo-palestinien. Le Cercle prépare sa participation à la Cité de la Réussite les 23 et 24 novembre 2024, à la Sorbonne et au Collège de France, sur le thème de la confiance. Qu’est devenu le camp de la paix en Israël ?  Le 30 avril, avec Thomas Vescovi, historien et chercheur indépendant, auteur de "L’échec d’une utopie, une histoire des gauches en Israël" (La Découverte, 2021) et de "La mémoire de la nakba en Israël" (L’Harmattan, 2015). Il contribue à différents médias (Le Monde Diplomatique, Middle East Eye, Orient XXI…) et fait partie du comité de rédaction de Yaani.fr. Voir la vidéo. Israël et Palestine – Pas de paix sans justice Le 15 mai, avec Alain Gresh, journaliste et écrivain. Il a été rédacteur en chef du Monde diplomatique, et est aujourd’hui directeur du journal en ligne OrientXXI.info. Il a écrit de nombreux livres sur le conflit Israël-Palestine dont il est un expert reconnu. Son dernier livre "Palestine, Un peuple qui ne veut pas mourir" (Les Liens qui libèrent) vient de paraitre. Voir la vidéo. 

L’histoire de France vue par un cycliste anglais

Publié le par Charles CONTE

De la conquête romaine aux gilets jaunes, l’historien britannique Graham Robb emprunte les chemins de traverse pour trousser une réjouissante Histoire de France par ceux qui l’ont faite. Une recension de Philippe Brenot, journaliste.

Une histoire de la France par ceux qui l’on faite : il faut entendre ce titre comme une invitation à emboîter le pas des acteurs souvent méconnus sur lesquels s’appuie une narration située aux antipodes des manuels déroulant classiquement le roman national.

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Une traduction plus littérale du titre original anglais aurait toutefois été plus attrayante, et plus juste : France, An Adventure History, soit un récit d’aventure en 18 chapitres dont les protagonistes connaissent diverses péripéties, au plus près des réalités de leur temps. Professeur à Oxford et spécialiste de littérature française avant de devenir historien de l’Hexagone, Graham Robb développe une approche aussi érudite qu’iconoclaste qui s’enrichit souvent d’un point de vue original : celui d’un passionné de vélo qui, chaque été, sillonne à hauteur de selle son pays de cœur en compagnie de son épouse afin d’épouser la géographie de son objet d’étude. Cela permet à l’auteur d’effectuer d’éclairants allers-retours entre hier et aujourd’hui et d’introduire des « choses vues » d’un ton narquois.

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La méthode a déjà fait ses preuves dans deux ouvrages également recommandables. Une histoire de Paris par ceux qui l’ont fait (Flammarion, 2010) voyait débarquer un certain Napoléon Bonaparte par le coche d’eau reliant Auxerre à Paris par l’Yonne et la Seine, pour s’achever avec les émeutes urbaines suscitées en 2005 par la mort tragique de Zied et Bouna : entre-temps, le lecteur avait redécouvert la capitale en compagnie de Marie-Antoinette, Vidocq, Proust ou Juliette Gréco. L’année suivante, Une histoire buissonnière de la France (Flammarion, 2011) s’appuyait à nouveau sur des destins personnels pour raconter la France depuis sa première mise en carte par les arpenteurs mandatés par les Cassini au XVIIe siècle jusqu’à l’effacement des dernières terra incognita du territoire national à la veille de la Grande Guerre. Graham Robb retraçait là une histoire fragmentée et traversée de zones d’ombres, à l’image de l’apartheid social que vécurent les « cagots », ces « intouchables » de l’Ouest de la France, considérés comme des pestiférés jusqu’au début du XXe siècle et dont le terme péjoratif de « cakou » est une lointaine résurgence.

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La période embrassée ici est plus vaste et les incises relatives aux équipées du couple plus notables. Dans le chapitre consacré à la Gaule romaine tardive, Graham Robb donne ainsi à lire l’inscription gravée dans la roche par laquelle tout cycliste plongeant sur Sisteron (Alpes-de-Haute-Provence) est interpelé sur la destinée de Claudius Postumus Dardanus, ex-préfet des Gaules qui au début du Ve siècle se réfugia dans une mystérieuse « Theopolis » pour échapper à la menace barbare. Un peu plus loin, c’est par une ancienne voie romaine que Graham Robb nous conduit sous les voûtes de la cathédrale de Reims pour évoquer la vie de Gerbert d’Aurillac, savant et humaniste du Xe siècle, jeune berger devenu moine puis archevêque avant d’être fait pape sous le nom de Sylvestre II. Mais le chapitre le plus emblématique de cette façon d’appréhender l’histoire est celui consacré à « L’arbre du centre de la France » qui, de 1560 à 1637, apparaît sur 17 cartes. Les pages racontant l’expédition à l’issue de laquelle on en retrouve la trace près de la chapelle décatie d’un hameau creusois sont parmi les plus palpitantes qui soient.

Graham Robb sait aussi donner une épaisseur romanesque à des personnages restés à l’arrière-plan de notre histoire. Dans la deuxième partie, de Louis XIV au Second empire, il nous fait ainsi rencontrer l’artisan vitrier Jean-Louis Menetra, qui tint le journal de son Tour de France, et nous rappelle fort à propos que Louis-Napoléon Bonaparte ne serait jamais devenu empereur sans sa compatriote Harriet Howard, qui par amour finança son aventure.

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Dans la troisième et dernière partie, qui enjambe les IIIe, IVe et Ve Républiques, Graham Robb exhume aussi l’incroyable » destin de Narcisse Pelletier, « le sauvage d’Australie ». Puis, après avoir dressé « L’inventaire des morts » de 14-18 et salué en amateur éclairé « Les Martyrs du Tour de France », il bondit ensuite jusqu’au premier quinquennat d’Emmanuel Macron à travers deux derniers chapitres qui traitent, pour l’un, du voile islamique, de la laïcité et de la condition féminine, et pour l’autre des gilets jaunes. Ce ne sont pas les plus convaincants, peut-être parce que l’on n’y circule guère à vélo. À moins que, sur ces sujets aussi brûlants, la causticité d’un observateur briton ne dérange notre bonne conscience. Mais c’est aussi cela qui fait le sel de la balade historique du guide cycliste Graham Robb.

Graham Robb emprunte les chemins de traverse pour trousser une réjouissante Histoire de France par ceux qui l’ont faite (Buchet-Chastel, 542 pages, 25,90 €).

Philippe Brenot, journaliste.