Bourg-en-Bresse. Remue-méninges « Quelles pistes pour régénérer notre démocratie ? »

Publié le par Charles CONTE
Le 20 février 2024, le Cercle Condorcet de Bourg-en-Bresse a réalisé un "remue-méninges"  intitulé "Quelles pistes pour régénérer notre démocratie ?". Les membres du Cercle ont réfléchi sur la base des textes de Michel Cabirol "Réparer la démocratie libérale",  "Régénérer la démocratie par les territoires" de la fondation Jean-Jaurès ainsi que de la note de cadrage de la séance rédigée par le secrétaire du Cercle Francis Schwintner. Le compte-rendu donné ci-dessous a été rédigé par Philippe Abel, président du Cercle. Remue-méninges « Quelles pistes pour régénérer notre démocratie ? » Une conversation intéressante de type «remue -méninges» se déroule sur la base de la question suivante: «quelles pistes pour régénérer la démocratie»? Il s’agit de partager les causes du «mal être démocratique actuel» en vue d’envisager des modes de réponse adaptés. En guise d’introduction, Philippe ABEL lit la note à la fois pertinente et synthétique de Francis SCHWINTNER qui cadre bien le sujet. Elle porte sur les constats, des idées d’outils possibles, et résume un article du Monde du 25\02\2022 intitulé «Un nouveau modèle démocratique est possible». Pour mémoire, la note de Francis était jointe à la convocation à la réunion ( avec 2 autres documents: «Réparer la démocratie libérale» (Michel CABIROL- président du comité de liaison des Cercles Condorcet)- «Régénérer la démocratie par les territoires» (Fondation Jean Jaurès). Les éléments de diagnostic et pistes de réflexion suivants sont évoqués (sans qu’il soit possible d’être exhaustif compte-tenu de la richesse de la discussion): Quelques éléments de diagnostic sur le mal être démocratique -«La démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous les systèmes» (Winston Churchill) - La définition de la démocratie ne repose pas uniquement sur les élections, mais aussi sur l’état de droit et le respect des minorités - Si notre démocratie va mal, c’est parce que la société française elle même se trouve dans le mal être ( «individualisme hédoniste de masse»- perte des valeurs de travail et de solidarité) - Ce mal être social trouve sa traduction dans un sentiment de «fatigue démocratique». Selon une étude réalisée par l’institut de sondage Opinion Way pour le Centre d’Etudes de la Vie Politique Française, 68% des Français jugent que la «démocratie ne fonctionne pas bien». - Mais, si l’on adopte une perspective historique, la démocratie a toujours été un système instable et résilient évoluant en fonction des crises ( cf. Niveau de violence antisémite des ligues d’extrême droite avant la seconde guerre mondiale). - Dans le monde, la France ne fait pas exception. Après le pic démocratique des années 2000, selon l’étude de 167 pays réalisée par The Economist Intelligence Unit, les démocraties n’ont jamais été aussi menacées dans le monde. Seule une minorité de la population mondiale (environ 34%) vit désormais en démocratie. Ceci alors même que la moitié de la population mondiale est concernée cette année par un scrutin électoral. - En France, la rupture du lien de confiance entre citoyens et élus est particulièrement problématique. Les citoyens ont le sentiment que les élus ne respectent pas leurs engagements, ou bien que leurs décisions ne se traduisent pas de manière effective. Dès lors, ils ne voient plus ce qu’ils peuvent «gagner» à voter pour tel ou tel parti. - Ce phénomène de défiance démocratique est renforcé par le marketing politique. En substituant des individus aux programmes, il est nécessairement facteur de frustrations. - S’ajoute à cela une complexité croissante et un éloignement des administrations du citoyen. Le rôle de l’expert et de la bureaucratie tend à dessaisir les élus du peuple de leurs responsabilités. - La professionnalisation du «politique» lui-même qui devient un métier, alors qu’il devrait rester un mandat, contribue à creuser la distance entre élus et citoyens. - Dans un monde en crise, il est devenu très difficile de se projeter ( contrairement aux années 70). Cela ne peut qu’affecter le moral de la population, et notamment des jeunes générations. - En parallèle, les institutions ( Europe- Etat…) manquent de pédagogie pour expliciter le sens de leurs actions. - La 5ème République repose sur une constitution conçue pour gouverner et décider ( ce qui est également le rôle des institutions démocratiques). Mais le présidentialisme et l’exercice vertical du pouvoir ont contribué à couper ce dernier du peuple. - L’opposition, quant à elle, se contente trop souvent d’une politique «attrape-tout» fondée sur des «y’a qu’à, faut qu’on». Une telle démagogie permet d’engranger des succès politiciens à court terme. Mais elle est lourde de menaces à long terme pour le pays, en raison du futur «désenchantement démocratique» qu’elle ne manquera pas de susciter, une fois aux prises avec les réalités du pouvoir. - Un type de discours politique fondé sur la manipulation des émotions plus que sur la raison entraîne un effet délétère dans l’opinion publique. - Ces phénomènes renforcent le mal français consistant, d’une part à tout attendre de l’État, d’autre part à être incapable de dégager des consensus raisonnables (sauf peut-être au niveau local). - Sur le plan socio-économique, la social-démocratie avait assuré, dans le monde, un équilibre entre deux facteurs essentiels de cohésion sociale: la liberté d’entreprise et le service public, la complémentarité entre le public et le privé. L’idéologie inhérente au néo-capitalisme financier ( Ecole de Chicago…) a fait voler en éclats cette base de consensus minimal. Or, elle garantissait le fait qu’il était possible de s’enrichir par son travail et son ingéniosité, dans des proportions décentes. De même, les plus précaires bénéficiaient de filets de protection. La dérégulation inhérente à la toute puissance de la finance a donné le sentiment aux citoyens qu’une toute petite minorité d’hyper-riches ( spéculateurs- grands patrons du CAC 40…) perçoivent des revenus totalement déraisonnables qui les coupent de notre «commune humanité». Simultanément, l’omnipotence de l’argent comme unique valeur de référence a conduit à la négation de la recherche du bien commun et de l’intérêt général indispensables à l’équilibre d’une société. - L’omniprésence des réseaux sociaux dans la sphère publique a accéléré la régression démocratique. Les jeunes notamment évoluent dans un autre monde, une bulle virtuelle déconnectée de la réalité sociale. Les réseaux sociaux fonctionnent sur une fuite en avant narcissique génératrice de souffrances pour les jeunes et leurs familles. Leur principe de fonctionnement va à l’encontre de l’expression raisonnée et de l’écoute bienveillante au fondement de toute discussion «démocratique». - Ces considérations ne doivent pas occulter le fait que l’électeur(trice) et le citoyen(enne) ne sauraient se défausser de leurs responsabilités concernant leurs propres comportements pour améliorer le fonctionnement de la démocratie. La célèbre phrase de Kennedy reste plus que jamais d’actualité: «plutôt que toujours te demander ce que ton pays peut faire pour toi, demande-toi ce que tu peux faire pour ton pays» - A ce titre, les individus et minorités ne peuvent faire prévaloir leurs propres revendications autocentrées sur l’intérêt général tant il est vrai que l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers. Quelques pistes de réflexion pour régénérer la démocratie - Il n’existe pas de solution miracle pour régénérer la démocratie - La première piste est liée à la nécessité de retrouver de grandes voix d’hommes et de femmes porteurs de valeurs démocratiques et universalistes, auxquelles on puisse faire confiance. - Face à la crise que traverse le monde, il est également essentiel de retrouver des valeurs et un idéal donnant un sens à l’avenir de l’Humanité (savoir où l’on va et pourquoi). Il faut définir ce qui peut nous unir par-delà nos différences. Compte-tenu du défi redoutable que posent le dérèglement climatique et la dégradation de l’Environnement, cette recherche d’idéal est indissociable de la détermination d’un nouveau rapport entre l’Homme et la Nature (cf. Notion de « Pachamama » fondée sur la représentation de la Terre -Mère existant dans de nombreuses cultures dans le Monde). - La démonstration est faite que les démagogues experts en manipulation des foules profitent de ce vide existentiel des valeurs portées par de grands hommes et de grandes femmes (cf. Trump…) - L’éducation civique revêt un rôle fondamental. Elle doit intervenir à tous les âges de la Vie, et dès l’enfance. Elle passe certes par l’Ecole, mais pas de manière exclusive. Peuvent être cités à titre d’exemples: les cours de philosophie et d’éducation au respect chez les enfants et les conseils municipaux d’enfants- le service civique-le baccalauréat international pour former des citoyens du monde en matière de culture, de langue, et d’apprentissage au «vivre ensemble»-le rôle des médias pour sortir du dénigrement systématique, citer les initiatives sociales positives, et mettre en valeur leurs acteurs, afin d’assurer une pédagogie de la démocratie- la régulation des réseaux sociaux..La phrase de Condorcet «éclairer les hommes pour en faire des citoyens» est plus pertinente que jamais. - Il est essentiel de créer de nouvelles voies d’expression démocratiques, au-delà des élections. Il s’agit de trouver un juste équilibre entre démocratie participative et démocratie représentative. De ce point de vue, l’expérience nationale des conventions citoyennes ( Climat- Fin de Vie…) est encourageante, à condition d’en tenir compte, pour ne pas générer encore plus de frustrations. La démocratie participative pourrait être développée sur le plan local où il s’avère plus facile de dégager du consensus. - Sur le plan électoral se pose la question de la remise en cause de l’alignement des mandats présidentiel et parlementaire, ce double quinquennat ayant renforcé le présidentialisme. - Il conviendrait de modifier les règles électorales pour prendre en compte le vote blanc dans l’éligibilité des candidats - Le cumul des mandats devrait être strictement limité, tant dans l’espace que dans le temps (pas plus de 3 mandats au cours d’une carrière politique). Cela garantirait un renouvellement du personnel politique. - Au niveau parlementaire, il faudrait revoir la composition de l’Assemblée Nationale pour qu’elle soit plus représentative des différentes catégories de la population. De même, le Sénat, en tant qu’assemblée de notables, n’apporte guère de plus-value au jeu démocratique ( cf. Projet de suppression par le général de Gaulle lors du référendum de 1969). Selon des modalités complexes restant à définir, il pourrait être avantageusement remplacé par une assemblée citoyenne composée de représentants des corps intermédiaires ( syndicats- associations…) à l’image du Conseil Economique, Social et Environnemental et de simples citoyens, à l’image des Conventions Citoyennes - La réhabilitation des corps intermédiaires (syndicats, associations...) dans le jeu démocratique pour recréer du collectif est un chantier à poursuivre. Mais les bénévoles associatifs sont «vieillissants». Seuls les syndicats tirent davantage leur épingle du jeu (depuis le mouvement des retraites) et bénéficient d’une meilleure cote de popularité. - La question de l’ouverture du référendum se pose. Mais celui-ci ne fait pas partie de la tradition démocratique française. Nous avons plus tendance à répondre à celui qui pose la question qu’à la question elle-même. Sa généralisation risque également de se traduire par une faible participation. Resterait éventuellement à mettre en œuvre des formes innovantes du type préférendum ( vote permettant d’exprimer ses préférences parmi une liste d’options) ou déjà prévues dans la constitution du type référendum d’initiative partagée (présentation d’une proposition de loi par un cinquième des parlementaires, soutenue par des citoyens, ceci à condition d’abaisser le seuil du nombre de signatures requis, actuellement trop élevé) - L’approfondissement de la décentralisation, notamment par le biais de la régionalisation et de l’échelon local, est de nature à rapprocher le citoyen de la prise de décision (y compris pour le référendum d’initiative locale). Mais elle se heurte en France à la tradition de l’Etat-nation, dont on attend tout, et à la passion de l’égalité entre régions (notamment fiscale) sur l’ensemble du territoire Fin de la discussion Les hasards du calendrier ont fait que cette séance s’est tenue peu de temps après le décès de Badinter, le jour même de l’assassinat de Navalny par Poutine, et la veille de la panthéonisation de Manouchian, avec son épouse et ses compagnons. Ces grandes voix de l’Humanité nous inspirent et nous leur devons reconnaissance pour l’exemple de leur clairvoyance et de leur courage. Chacun à leur manière, ils nous engagent dans notre responsabilité pour défendre la liberté, la démocratie, et l’universalité des valeurs humanistes. Le Président Philippe ABEL
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